Doit-on faire son propre potager ?

La classe projet de 3e du collège St Joseph de Redon rencontre aujourd’hui Gérard Gruau, directeur de Recherche au CNRS à l’université de Rennes 1 (géoscience), membre du Haut Conseil Breton pour le Climat et également Président du CRESEB (Centre de ressources et d’expertise scientifique sur l’eau en Bretagne).

Suite à des interventions de l’Espace des sciences sur l’énergie, puis sur les changements climatiques, et avec leurs enseignants, les élèves ont préparé puis transmis en amont des questions à M.Gruau. Cet échange matinal au CDI vise à mieux comprendre, à prendre conscience de problèmes actuels et à venir, afin de réfléchir sur des solutions individuelles et collectives.

Nourriture

A la question d’un élève sur la nécessité de faire un potager, M.Gruau donne dans un premier temps une donnée statistique : les transports représentent 30% des émissions françaises de gaz à effet de serre.

Il semble donc plus judicieux de produire ses légumes localement, même si la question des terres disponibles se pose aussi, notamment en ville.

Se nourrir localement et selon les possibilités des saisons c’est donc à la fois bon pour notre santé, pour le climat et pour l’activité physique des jardiniers. On restera toujours dépendant de certaines productions agricoles, mais produire localement réduit les impacts. Cela permet aussi de se reconnecter avec la terre nourricière et de se mettre en interaction avec notre environnement. Il y a de nombreux maraichers dans le pays de Redon qui peuvent fournir des aliments de qualité pour les habitants.

Un autre élève demande : doit-on manger moins de viande rouge ?

L’agriculture en France produit 20 % de nos gaz à effet de serre (dioxyde de carbone mais aussi méthane et protoxyde d’azote, 2 gaz au pouvoir réchauffant supérieur au CO2). La production de viande rouge représente environ 1/3 de ces gaz.

Source : Le monde sans fin – Jancovici-Blain

Les élèves se posent aussi des questions relatives à l’agriculture et à la santé : il y a-t-il des légumes sans OGM et les OGM sont-ils dangereux pour la santé ?

M.Gruau répond qu’en France la culture des OGM est interdite, mais que certaines importations sont autorisées, c’est le cas du maïs OGM. Les OGM, produits de l’agro-industrie ont été inventé pour lutter contre certains ravageurs comme la pyrale du maïs, c’est l’un des arguments de l’agro-industrie, comme celui de lutter contre la faim dans le monde. Pourtant, aucun rendement accru des productions n’a été noté dans les cultures avec OGM, de plus cela pose des problèmes éthiques sur la modification du vivant et sur les risques environnementaux. En effet ces gènes modifiés peuvent sauter des barrières d’espèces, et même potentiellement atteindre l’homme sur des longues durées (des espèces animales comme le cochon par exemple, étant très proche génétiquement de l’homme).

Il s’agit là encore de prendre conscience des limites éthiques et des choix de société, pour savoir si l’on accepte ou non ces outils des techno-sciences. La questions se pose de la même manière pour les changements climatiques, est-on sûr que les technologies peuvent enrayer le phénomène ?

Transport

Plusieurs questions sont posées par les jeunes sur le transport. Tout d’abord, les transports en commun sont-ils préférables aux transports individuels ?

La réponse est oui, sauf pour l’avion.

Source : Le monde sans fin – Jancovici-Blain

Un autre élève demande : « Pourquoi nous propose-t-on la voiture électrique alors qu’elle pollue aussi? »

La voiture électrique nécessite des batteries et un certain nombre de métaux, et nécessite donc de l’énergie (davantage qu’une voiture thermique). De plus, la question de son impact sur le climat dépend de la façon dont est produit l’électricité stockée dans les batteries. Pour tous les pays qui produisent l’électricité avec de l’énergie fossile, la voiture électrique n’est pas une bonne idée pour le climat.

-les élèves : « Peut-on prendre du plaisir dans un véhicule mais sans vouloir polluer ? »

-M.Gruau :

On peut prendre du plaisir dans un véhicule mais en prenant conscience de l’impact que l’on a. Il faut prendre conscience que l’on bouge beaucoup dans les pays développé. Il y a 2 siècles, la distance parcourue dans sa vie par un français était en moyenne de 3 km / jour, soit environ 45 000 km pour une personne de 60 ans, distance parcourue essentiellement à pied. De mon côté, en calculant tous mes déplacements personnels et professionnels durant toute ma vie, j’ai parcouru plus de 1 million de km, soit 20 fois plus que mon ancêtre, avec des moyens de transport utilisant principalement le pétrole. Cela correspond à 25 fois le tour de la Terre.

Source : Le monde sans fin – Jancovici-Blain

Il faut donc prendre conscience que l’on bouge énormément et que cela consomme beaucoup. Le bonheur n’est probablement pas dans un mouvement permanent. On peut prendre du plaisir à côté de chez soi, en allant faire du kayac sur l’oust ou encore de l’escalade, sans forcément aller au bout du monde.

Pascal disait dans ses pensées au 17e siècle, que « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ».

Une enseignante soulève le problème des lieux de travail et des lieux d’habitation. En raison de la pression immobilière dans les villes, les personnes se retrouvent à habiter en campagne, où il n’y a d’ailleurs pas ou peu de transport en commun.

C’est en effet une vrai question répond M.Gruau. On a fui la campagne pour les villes, car on fuyait aussi une vie difficile, et souvent la pauvreté, mais on fuyait aussi l’ennui.

On en revient à la pensée de Pascal, affronter nos peurs et nos angoisses, en comprenant plus intelligemment notre monde, nous rendrait sans doute moins malheureux, et donnerait à notre vie et nos actions une signification plus élevée.

Habitat et mode de vie

– Les élèves : pourquoi n’avons nous pas tous des panneaux solaires sur les toits ?

– M.Gruau : Le problème du solaire c’est essentiellement l’intermittence (il n’y a pas de soleil la nuit) et le coût, même si l’installation est amortie au bout de plusieurs années.

-Peut-on se chauffer sans chauffage ?

-On a toujours besoin l’une source d’énergie et l’isolation est un point très important. Avec une maison très bien isolée, le chauffage solaire thermique peut suffire. Il faut aussi s’habituer à ne pas avoir des maisons trop chaudes, notamment les chambres.

Un jeune se demande si l’homme est la seule espèce sur Terre à créer de la pollution.

Pour M.Gruau, produire des déchets est le propre de tous les êtres vivants, mais un écosystème à l’équilibre gère les déchets. Les microorganismes réintègrent les déchets dans le cycle de la vie (cycle du carbone).

On est la seul espèce à avoir cette capacité de créer des objets. Le problème de l’homme c’est la production de déchets non dégradables, la plastique par exemple. De plus, aucune espèce n’a multipliée ainsi sa mobilité par 25, en moins de 200 ans !

Le problème est la destruction de notre espace vital. Pour Bruno Latour, en détruisant notre espace vital on se détruit nous même.

Je pose la question de la capacité des sols à incorporer et à stocker le carbone, et les espoirs de changements agricoles (agroécologie, projet 4 pour 1000).

Dans son activité de chercheur, M.Gruau travaille justement sur le territoire du lac de Ploermel sur l’eau et les sols et sur la modification des pratiques agricoles : couverts permanents, arrêt du labour etc. La question qui se pose c’est comment financer ces changements de pratiques dans le monde agricole ? Une des pistes de travail est de faire en sorte que des entreprises bretonnes deviennent partenaires de projet d’agroécologie et en retirent un bénéfice, créant ainsi un cercle vertueux. Un certain nombre d’agriculteurs se sentent entendus et prêts mais ils ont besoins de financement. Un projet de film est actuellement en cours de réalisation sur cette question.

Il y a bien sûr des forces très puissantes qui vont à l’inverse de ces solutions !

Ces solutions sont néanmoins très encourageantes et il y a sûrement de nouveaux métiers à venir !

Ce que conseille M.Gruau aux élèves, ce sont des formations plurielles, pour avoir plusieurs cordes à son arc et acquérir des compétences multiples, qui seront de véritables atouts pour comprendre le monde et trouver des solutions.

Par exemple, une formation scientifique avec des compétences en économie permet de savoir sur quoi il est possible d’agir pour changer les choses.

M. Gruau félicite les jeunes pour la pertinence de leurs questions.

Toute l’équipe éducative du projet du collège Le Cleu St Joseph et moi-même, remercions chaleureusement M.Gruau pour la grande richesse de son intervention.

Michel Bouchet, Espace des sciences